La « Fiche S » a été mise en scène et instrumentalisée de toutes les manières imaginables ; politiquement, médiatiquement, judiciairement… Interprétée par certains comme la garantie d’une culpabilité pendant qu’elle soulignait une dérive de l’état pour d’autres : on a beaucoup spéculé sur sa forme réelle, son contenu, ses catégories et souvent le nom de ses porteurs.
Des journalistes sont aussi fichés et veulent savoir pourquoi en exerçant leur droit à l’information, comme n’importe quel citoyen en a le droit. Camille Polloni, journaliste pour le magazine Les Jours et fichée par l’armée, se bat depuis six ans pour avoir accès au contenu des données la concernant.
Cette « Fiche S », il s’agit tout simplement de celle que mes avocats ont découvert dans le dossier judiciaire à la suite des 33h de Garde à vue que j’ai passé dans le cadre de l’évacuation de la jungle de Calais en octobre 2016. C’est dans le dossier de l’affaire du Talkie Walkie, pour lequel j’ai été condamné à 500€ d’amende après 250 jours de contrôle judiciaire et d’interdiction de me rendre dans le Pas-de-Calais, m’empêchant d’y réaliser mon travail de journaliste, qu’apparait cette « Fiche S ».
N’ayant décidément pas beaucoup d’éléments servant à gonfler mon dossier d’accusation, à nourrir la thèse de ma prétendue dangerosité avérée devant la justice : les policiers qui ont mené cette enquête ont cru bon de souligner l’existence à mon encontre d’une « Fiche de renseignement S »… Qu’ils ont eu la MERVEILLEUSE idée d’intégrer au dossier d’instruction (celui auquel mes avocats et moi-même avons accès afin de préparer ma défense à l’audience), en guise de preuve de ma prétendue proximité avec « les No Borders du Calaisis » et « les Antifas de la région Lilloise ».
Une « Fiche S » intégrale publiée pour la première fois dans la presse
Verser au dossier d’instruction d’un journaliste un document classé confidentiel et qui défraie la chronique médiatique depuis plusieurs mois, sur les questions de terrorisme autant que les abus de l’utilisation de l’état d’urgence ; Un document jusqu’alors jamais publié et jalousement gardé par le ministère de l’intérieur ? C’est comme un cadeau de Noël !
Terroristes, Hooligans, Zadistes, Black Blocs…
La « Fiche S » est une catégorie du « Fichier des Personnes Recherchées (FPR) » ; La lettre S étant l’abréviation de « Sûreté de l’État ». Ces fiches informatiques sont principalement émises par la Direction Générale de la Sécurité Intérieure (DGSI). Elles sont utilisées pour « procéder à la surveillance de ceux sur lequel ne repose aucune incrimination pénale, mais qui peuvent, par leur activité, représenter à un moment ou à un autre un risque de trouble à l’ordre public ou une atteinte à la sûreté de l’État ». Les Fiches S mélangent donc des personnes condamnées, suspectes autant qu’innocentes, et ses niveaux vont de S1 à S16. Le rédacteur de ses lignes était en octobre 2016 classé S03, S04 et S05.
L’ancien premier ministre Manuel Valls déclarait en novembre 2015 que 20 000 personnes faisaient l’objet d’une « Fiche S » en France, dont 10 500 pour leur « appartenance ou leurs liens supposés avec la mouvance islamiste ». Il est entendu que selon le classement de la DGSI, les autres personnes fichées S peuvent être classés comme terroristes (PKK, mouvements tamouls, branche militaire du Hezbollah…), hooligans, Zadistes, membres du Black Bloc, de l’ultra-droite ou de l’ultra-gauche.
Depuis janvier 2015 la liste des « Fichés S » dans l’éducation nationale est fournie au rectorat en vue d’une exclusion définitive (en août 2016, une dizaine de cas était en cours de traitement). Par décret du 29 juin 2016 : les collectivités locales peuvent demander aux services d’interroger le FPR au moment d’un recrutement « afin de prévenir l’embauche d’une personne fichée S ».
Il ne s’agit finalement que d’une simple feuille A4 classant les individus dans une catégorie (islamisme, « ultra-gauche », hooliganisme…), dictant la conduite à tenir par les services de police croisant la personne (interpeller, ne pas attirer l’attention…), établissant un classement sur la dangerosité et/ou le degrés de surveillance déjà mis en place et/ou à mettre en place (S1/S2/S3…), et indiquant les numéros de téléphone des officiers en charge de cet individu.
Oui… C’était tentant de laisser publiquement apparaître ces numéros, mais l’histoire récente a démontrée que les policiers ont assez peu d’humour et que ce genre de blagues finissent souvent devant un procureur ou un juge, qui en ont encore moins.
One more thing.
Mes avocats Maîtres Raphaël Kempf, Aïnoha Pascual, Vincent Fillola et Boris Rosenthal, assignent le Ministère de l’Intérieur devant le Conseil d’État en « Recours pour excès de pouvoir », afin de faire effacer cette « Fiche S », ainsi que toutes les autres informations incorrectes me concernant et qui sont encore inscrites dans le « Fichier des Personnes Recherchées (FPR) ».
Voici leur requête introductive d’instance, en attendant d’avoir une date d’audience au Conseil d’État :