[GAV] CENSURE : LA PHOTOGRAPHE HANNAH NELSON, 17 ANS, PLACÉE EN GAV PENDANT 6H AVEC FOUILLE AU CORPS ET SANS MOTIF LÉGAL

Nous sommes le mardi 16 juin 2020, à Paris.

La manifestation des soignants est prévue pour un départ à 14h. Pour couvrir celle-ci, qui n’était pas prévue comme particulièrement « dangereuse », le binôme du jour vidéo/photo était : Gaspard Glanz et Hannah Nelson. Elle est photographe, rédactrice du journal et présidente de l’association de photographie de son établissement, qui réalise des reportages auprès de nos équipes en tant qu’étudiante, et « observatrice » de nos méthodes de travail.

Voici son récit de la journée…


J’ai rejoint Gaspard, nous nous rendions à la manifestation à pied.

Nous avons longé le Ministère des Outre-Mer jusqu’au croisement avec le boulevard des Invalides. C’est là qu’un checkpoint avait été mis en place par les forces de l’ordre. Quand nous sommes arrivés à leur niveau ils nous ont demandé de nous arrêter. Il est 13h.

Ils ont commencé par nous demander nos cartes de presse. Je leur ai tendu ma carte de presse jeune, délivrée par l’association Jets d’Encre et qui reconnait que je travaille pour un média jeune : le journal de mon lycée dont je suis la photographe et la chargée de communication. Je leur donne également ma carte d’identité. Ils me demandent d’ouvrir mon sac, je m’exécute en explicitant la présence de mon masque à gaz, un masque à cartouches. Ils me rendent ma carte de presse jeune ainsi que ma carte d’identité et je peux fermer mon sac.

Pour Gaspard c’est plus compliqué. N’ayant pas de carte de presse les explications commencent. Il leur montre un article de l’AFP, plastifié, qui explique que l’on a pas besoin de carte de presse pour être journaliste. Les FDO elles, ne font que demander cette carte qu’il ne possède pas. Gaspard portait un masque contre le Covid 19 ce jour-là, un masque assez gros et qui leur posait visiblement problème. Compte tenu des circonstances il nous paraissait logique d’avoir un masque ce jour-là. Les FDO lui reprochent qu’on ne peut pas l’identifier et que ce masque est un “masque offensif”. Gaspard avait également un masque à gaz (à cartouches). Les FDO affirment qu’il n’a pas le droit d’en avoir un. Gaspard leur montre donc l’article de loi (la loi anti-casseurs de 2019) qui stipule que toute personne dans ou aux abords d’une manifestation peut-être condamnée pour dissimulation du visage sauf motif légitime, le motif légitime étant pour nous de faire partie de la presse et donc d’être ici pour faire notre travail d’information.


A ce stade là on m’avait dit que tout était en règle pour moi mais je reste auprès de Gaspard. Une des policières (celle qui semblait coordonner cette équipe) décide de saisir les cartouches du masque à gaz de Gaspard mais pas les miennes. C’est là que nous lui demandons s’il y a aujourd’hui un arrêté préfectoral qui stipule que le port de ce genre de masque est interdit pour la journée. Elle revient 10 minutes après, les deux cartouches en main, les rend à Gaspard mais nous dit qu’il va falloir vérifier tout cela avec l’officier de police judiciaire. Nous lui demandons pourquoi il n’y en a pas un sur le terrain, elle dit qu’elle ne sait pas.

Un camion de police arrive, prêt à nous embarquer. On nous dit que ce sera l’affaire de 20 minutes, pour vérifier que tout est en règle puis retourner à la manifestation. Il est environ 13h30. On nous palpe tous les deux, on nous enlève nos téléphones et on entre dans le camion. Je demande à quel commissariat nous allons, on me répond que c’est celui du 9e arrondissement.


Une fois arrivés sur place on nous fait asseoir et attendre sur le banc devant les cellules de garde à vue. On attend l’OPJ. Celle-ci arrive et nous indique que ceci est le début de notre garde à vue. Je désigne Maître Raphaël Kempf comme avocat, demande à ce que l’on prévienne mon père, on me demande si j’ai des problèmes de santé: ce n’est pas le cas. Gaspard est placé dans la cellule juste derrière ce banc. Il n’y a pas de cellule pour femmes donc je suis menottée à ce même banc. Les policiers de garde me demandent quel est le motif de cette interpellation et de ce placement en GAV, je ne sais toujours pas.

Quand la policière de garde reçoit les fiches de GAV (au bout de 30 minutes à peu près) elle nous donne le motif: “groupement en vue de commettre un délit”. Je ne peux pas vraiment bouger, je suis menottée. Impossible de dormir à cause du bruit environnant et de ma douleur à l’épaule qui se fait de plus en plus prononcée.


Les deux policiers font l’inventaire de nos sacs, 2 gros sacs de journalistes remplis de matériel. Ensuite, Gaspard va se faire fouiller au corps dans une petite salle à quelques mètres de moi.

Pendant ce temps un homme est placé en GAV, il ne parle pas bien français, les policiers qui l’ont transporté ne comprennent pas son nom, il vient d’Argenteuil mais est sans domicile fixe et sans papiers. C’est là qu’un des policiers qui l’a transporté dit “Quand ils viennent d’Argenteuil on ne sait jamais vraiment d’où ils viennent”. Le détenu est menotté à l’autre banc et il commence à discuter avec les 2 autres hommes en cellules, ils parlent fort et dans une langue que je ne comprend pas (je dirais en arabe mais je ne suis pas sûre). Un des policiers dans le couloir leur crie de se taire c’est là qu’un autre policier répond “Laisse-les, ils s’échangent leur pédigrée”. L’homme est placé en cellule. Gaspard revient.


C’est à mon tour. La policière entre avec moi dans la petite salle et me demande d’enlever mes bijoux, on doit couper certains de mes bracelets, je dois enlever mes barrettes et mon élastique à cheveux et je dois enlever mon soutien-gorge. Je me retrouve donc en sous-vêtements, j’ai l’autorisation de me retourner pour enlever mon soutien-gorge puis je peux me rhabiller. Mes affaires sont placées dans un bac. On me demande ensuite d’aller faire mes empreintes et des photos dans une petite salle au bout du couloir. Je m’exécute. Je retourne sur le banc.

Maître Raphaël Kempf arrive (il me semble aux environs de 17h) et nous concluons d’une phrase que je prononcerais pendant mon audition sur les raisons de ma présence à cette manifestation: “Je me rendais à cette manifestation pour la couvrir en tant que journaliste jeune”.

C’est au tour de l’homme placé en GAV après nous d’aller faire sa fouille. Un des deux policiers lui dit “Par ici,on va...” et son collègue complète par “On va te passer à tabac”. Ils rigolent entre eux. Gaspard se fait auditionner, puis c’est à mon tour. On me pose différentes questions (adresse, numéro de téléphone etc) et vient celle de pourquoi j’allais à cette manifestation, je réponds par la simple même phrase… Je redescends et mon avocat s’en va.


Environ 20 minutes après un homme me demande de venir avec lui dans la salle où on a pris mes empreintes. Je ne sais pas pourquoi j’y vais. On me dit que l’on va prendre mon ADN. Gaspard leur dit que j’ai le droit de refuser, on ne m’a pas expliqué mes droits. Je leur donne de toute manière, pour éviter de passer la nuit menottée à un banc plus qu’autre chose. Je retourne sur le banc. Un des policiers de garde décide de m’enlever les menottes quand il est là.

Gaspard peut récupérer ses affaires et sortir. L’OPJ vient me faire signer mes papiers de GAV et me dit que je pourrais sortir bientôt, et je suis sortie environ 30 minutes plus tard. Elle m’indique également la décision de la magistrate : j’ai un rappel à la loi et on va détruire mon masque à gaz.

On m’enlève enfin les menottes, je récupère mes affaires et je sors accompagnée de ma mère aux alentours de 19h. J’ai fait 6h de GAV.


Je rappelle que selon les policiers du checkpoint je ne me faisais pas interpeller : tout était en règle. On nous a ensuite dit que nous allions au commissariat, pour voir un OPJ en vue de vérifier les papiers de Gaspard et notre légitimité à être présents à la manifestation. Mais pas pour une GAV…


Je ressors 6h plus tard avec un rappel à la loi et mon matériel détruit.


Hannah Nelson.




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