Les tribunaux Français ont tendance à annuler la plupart des demandes de renvois de personnes originaires d’Afghanistan qui leur sont présentées par les services de l’immigration ; En raison des dangers encourus dans leur pays d’origine, mais aussi (et surtout ?) en accord avec les lois internationales. Comme la Convention Européenne des Droits de l’Homme, Article 3 : « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants » ; et la Charte des Droits Fondamentaux de l’Union Européenne, Article 19 : « Nul ne peut être éloigné, expulsé ou extradé vers un État où existe un risque sérieux qu’il soit soumis à la peine de mort, à la torture ou à d’autres peines ou traitements inhumains ou dégradants ».
Depuis 2017, la France et l’Allemagne tentent de mettre en place un processus de retours forcés vers l’Afghanistan. Un accord signé en à l’automne 2016 entre l’UE et l’Afghanistan, particulièrement décrié, autorise le ministère de l’Intérieur à délivrer son propre « laissez-passer européen », s’il n’obtient pas de laissez-passer du consulat afghan sous quatre semaines. Seule une poignée de citoyens s’opposent à ces déportations : voici leur témoignage tel qu’il nous a été transmis.
[TRIBUNE] Brigade Anti-Déportation, Collectif La Chapelle Debout
Voici une liste non exhaustive d’exilés afghans raflés à Calais depuis avril 2017 et menacées d’être renvoyées à Kaboul. Voici une liste non exhaustive des méthodes employées par la préfecture du Pas-De-Calais pour déporter vers une mort possible des personnes venues chercher en Europe une protection.
• L. Shahedullah M., raflé à Calais dans un camion, libéré le 08/07/2017, 44 jours de détention
• Hatimi I. Sha, raflé à Calais, déporté à Kaboul le 10 juillet 2017 à 12 h 35 par Air France via Istanbul, frappé et gazé avant de monter dans l’avion.
• Meyhwan B., 18 ans, raflé à Calais la nuit alors qu’il cherchait un point d’eau, vol prévu le 18/07/2017 à 14 h 10 par Turkish Airlines via Istanbul, vol annulé.
• Adramzai J., 22 ans, raflé à Paris à Gare de l’Est, vol prévu le 25/07/2017 à 12 h 35 par Air France, frappé par les policiers dans l’avion devant les passagères et passagers, déporté à Kaboul.
• Sultan J., vol prévu le 25/07/2017 à 16 h 20 par Turkish Airlines via Istanbul, vol annulé.
• Koochai M., vol prévu le 29/07/2017 à 12 h 35 par Air France via Istanbul.
• Amin M., vol prévu le 05/08/2017 à 12 h 35 par Air France via Istanbul.
• Ali K., raflé à Calais lors d’une distribution alimentaire, expulsé en Italie le 06/06/2017.
• Talawat J., raflé à Calais lors d’une distribution alimentaire, vol prévu le 09/06/2017 à 16 h 20 par Turkish Airlines via Istanbul.
• Farid S., raflé à Calais, vol prévu le 07/07/2017 à 16 h 20 par Turkish Airlines via Istanbul, vol empêché, libéré le 08/07/2017, 45 jours de détention.
• Ahmad J., mineur, raflé à Calais dans un camion, 19 jours de détention, libéré le 27/06/2017.
• Heydayat I., raflé à Calais, vol prévu le 24/06/2017 à 16 h 20 par Turkish Airlines via Istanbul, vol avancé au 20/06/2017 à 16 h 20 par Turkish Airlines via Istanbul, vol empêché, vol prévu le 23/06/2017 à 16 h 20 par Turkish Airlines via Istanbul, vol empêché, libéré le 24/06/2017.
• Akhtar Gul A., raflé à Calais, vol annulé, libéré le 06/06/2017.
• Fasal t., 19 ans, raflé et gazé à Calais dans un bois, vol prévu le 18/07/2017 à 16 h 20 par Turkish Airlines via Istanbul.
• Safi M., raflé à Calais, libéré le 02/06/2017 pour raisons médicales.
• Ilham s., raflé à Calais, frappé et enfermé alors qu’il avait un rendez-vous pour une demande d’asile, vol prévu le 05/07/2017 à 16 h 20 par Turkish Airlines via Istanbul, vol empêché, libéré le 08/07/2017.
• Mahmud A., raflé à Calais, séparé de son jeune frère alors qu’il se rendait à un hôpital pour son pied blessé, vol prévu le 26/07/2017 à 12 h 35 par Air France via Istanbul.
• Adel F., raflé à Calais, vol prévu le 23/06/2017 à 16 h 20 par Turkish Airlines via Istanbul, vol empêché.
• Zaman N., raflé à Calais, vol prévu le 21/06/2017 à 16 h 20 par Turkish Airlines via Istanbul, vol empêché.
• Hassib S., raflé à Calais, vol prévu le 20/06/2017 à 16 h 20 par Turkish Airlines via Istanbul, vol annulé.
• Mohammad G., raflé à Calais, déporté à Kaboul le 19/07/2017 à 12 h 35 par Air France via Istanbul.
« Ça sert à quoi d’éteindre la Tour Eiffel à chaque attentat à Kaboul si c’est pour nous renvoyer là-bas ? » Mahmoud Akbari, raflé, déportable.
Ils ont été arrêtés lors de distributions alimentaires, autour d’un point d’eau la nuit, dans un camion, dans un bois. Ils ont été sans aucune sommation frappés et/ou gazés puis enfermés pour une majorité dans le Centre de Rétention Administratif du Mesnil-Amelot, dont les juges sont réputés pour prolonger la détention au maximum des 45 jours légaux. Ils ont fait l’objet d’un acharnement policier puis administratif sans précédent, coursés, débusqués, piégés puis enfermés. Ils ont ensuite été maintenus en détention sans raisons, la préfecture du Pas-de-Calais faisant systématiquement appel des décisions du tribunal administratif lorsque celui-ci tente d’annuler une obligation de quitter le territoire vers l’Afghanistan. Les recours déposés au tribunal administratif ne sont pas suspensifs de la procédure d’expulsion.
Bien qu’ils n’aient aucun papiers sur eux prouvant leur nationalité afghane et qu’ils refusent de rencontrer le consulat du pays qui les a persécutés, la préfecture du Pas-De-Calais s’appuie sur un nouvel accord de déportations de masse entre l’Union européenne et l’Afghanistan pour obtenir la délivrance de laissez-passers. S’agit-il de dissuader, de vider Calais ou de rôder une machine de déportation massive ?
Qu’importe leur histoire, leur désir ou non de déposer l’asile en France, qu’importe les liens qu’ils peuvent avoir ici ou en Angleterre, les laissez-passers européens sont demandés dès leur arrivée en centre de rétention, les billets d’avion sont immédiatement réservés et payés à Air France par l’État qui les répartit sur des vols commerciaux en collaboration avec Turkish Airlines. Les premières annulations de vol ont eu lieu au hasard d’une procédure qui met quelques semaines à se rôder, et maintenant la machine administrative trouve sa vitesse de croisière, les vols s’enchaînent et semblent ne plus vouloir s’arrêter.
Nous connaissons chacun d’entre eux, nous les avons rencontrés au centre de rétention pour commencer à briser les murs de toutes les prisons. Pour eux le prix des violences et du harcèlement physiques et psychologiques, que la Cour européenne des droits de l’Homme pourrait qualifier de « traitements inhumains et dégradants », doux euphémismes pour tortures. Pour eux le prix du déni des droits, de tous leur droits, ceux d’être là, d’être vivants, libres au monde. Pour nous, le prix du silence et de l’indifférence en attendant pire.
Notre Brigade Anti Déportation est intervenue à 15 reprises à l’aéroport Roissy-Charles-De-Gaulle, réussissant à sensibiliser les passagères et passagers des différents vols. La détermination de toutes et de tous a permis aux expulsés de descendre de l’avion avant son décollage et d’être libérés du centre de rétention. Merci et bravo aux personnes présentes. Merci à celles qui relayent. Ce sont les premières déportations directes de la France vers l’Afghanistan, il est capital que cela se sache et que l’on s’organise partout pour toutes les empêcher, pour tous et toutes les exilé.es d’où qu’ils et qu’elles viennent. La liberté concrète de circuler et de s’installer est à ce prix.
Nous sommes là pour briser ce silence, nous ne sommes personne, nous sommes tout le monde, nous sommes chacune et chacun et nous ne pourrons plus dire que nous ne savions pas. Être ensemble nous a permis de combattre la peur, de prendre confiance et de réveiller notre pouvoir d’action. Nous voulons contaminer et nous avons besoin de tout le monde. Rejoignez-nous et inscrivez-vous dans les groupes à notre numéro pour être informé.es, pour visiter les centres de rétention avec des personnes exilées, pour aller dans les aéroports, dans les rues ou dans les centres d’hébergement pour empêcher des rafles.
PARIS • RAFLES : LES AFGHANS SE RÉVOLTENT POUR RÉCUPÉRER LEURS AFFAIRES (1er NOVEMBRE 2016)
« Ecoutez les cris des muets »
Une à une les digues tombent. Oui, ce sont bien des représentants de l’Etat qui ordonnent des razzias et observent en costume-cravate mal taillés des CRS traîner par terre un migrant évanoui après s’être fait gazer devant un centre humanitaire. Ce sont bien ces hommes et ces femmes qui signent des arrêtés d’expulsion pour l’Afghanistan, conçus par des technocrates français.es et européennes de haut rang.
Oui, ce sont bien des magistrat.es se réclamant de l’Etat de Droit qui non content.tes d’être de simples rouages de l’administration font du zèle. Oui, c’est peut-être bien ce gardien de la paix de la PAF, arme à la ceinture, visage sympathique qui après avoir dégusté son pain au chocolat à la Brioche Dorée exécutera méthodiquement son ordre de mission en suivant son “manuel des gestes techniques professionnels en intervention” : il menottera Gol Mohammad, lui posera la main sur l’épaule pour l’emmener dans l’avion, l’assoira au fond de l’appareil, et au moindre signe d’agitation le maîtrisera.
C’est peut-être lui qui a sorti le masque, et l’a posé fermement sur son visage. Ainsi est réduit le bruit. C’est peut-être lui et son chef gradé qui ont intimidé les voyageurs que nous avions informés, en faisant sortir de l’avion les plus actifs, pour l’exemple. Ainsi est maîtrisée la situation. C’est peut-être lui qui une autre fois a déroulé son scotch pour attacher X à son siège. C’est peut-être lui qui a tabassé et vidé la bouteille d’eau de Farhad, déshydraté au retour d’une tentative d’expulsion à laquelle il avait réussi à résister. C’est peut-être lui qui a remis Hatimi I. Shahi à ses collègues turcs qui l’ont maîtrisé avec leur poings et leurs irritants oculaires et respiratoires, avant de le traîner à Kaboul. C’est peut-être lui qui entre la poire et le café décrira sa mission discrète comme exaltante et protectrice des citoyen.nes.
Chez tou.tes, la peur s’instille, habilement manipulée par la force d’arsenaux juridiques, administratifs, symboliques et rhétoriques, mais aussi par des conditions de travail précarisées. Chaque fois qu’une personne est expulsée, chaque fois que tout un tas de professionnel.les y collaborent activement ou passivement, et que tout un tas de personnes, qu’elles le veuillent ou non restent spectatrices, ces pratiques se routinisent, cette politique se banalise et le processus de déshumanisation des migrant.es se normalise chaque fois un peu plus.
La multiplication de ces actes a une fonction : elle pérennise une entreprise raciste dont l’activité ne connaît pas la crise. Lorsque ce n’est pas par amour de la discipline, le personnel des compagnies aériennes collabore au risque de se transformer en chair à patron. Là aussi, la Préfecture dispose d’instruments d’intimidation : un.e employé.e qui proteste contre ces pratiques banalisées peut risquer de se faire confisquer l’accréditation qui lui permet de travailler dans l’aéroport. Certain.es collaborent peut-être par zèle, mais d’autres y sont poussé.es et finissent par courber l’échine pour conserver leur gagne-pain.
PARIS : LE CENTRE D’ACCUEIL DES RÉFUGIÉS PORTE LA CHAPELLE EST SATURÉ (6 JANVIER 2017)
Les migrant.es devraient accepter d’être des viandes à loup. Les personnels de compagnie aériennes devraient se rassurer en se disant qu’ils des muets ne sont pas la cheville ouvrière de cette mécanique, voire de frapper ces pratiques du rassurant sceau de la légalité ; les voyageuses et voyageurs se boucher les oreilles ou se tenir éloigné.es pour ne pas entendre les cris, porter des œillères ou baisser les yeux pour ne pas voir cet officier maîtriser ce jeune homme de 19 ans pour exécuter cette “mesure d’éloignement” : personne n’a rien vu, rien entendu et rien dit. Celles et ceux qui sont sensibles aux injustices faites aux migrant.es sont partagé.es : peut-on se battre contre cette machinerie si bien huilée ?
Car ces actions ne sont pas anodines. Chaque fois que nous allons en CRA, nous devons accepter des pratiques humiliantes, comme la palpation et le contrôle des documents d’identité, arbitraire ; parfois l’attitude désagréable et méprisante d’un officier, lassé de nous voir passer une après-midi à rencontrer 4 retenus ; pour certain.es subir le racisme banalisé qui nous touche personnellement ; en allant, nous devons accepter une proximité et “une coopération” avec ceux que nous savons pour certain.es être des tortionnaires racistes.
Pour un.e migrant.e qui participe à une visite, cela évoque de sales souvenirs : le danger qui rôde, après avoir risqué sa vie à atteindre un pays qu’on désirait hospitalier. Mais chaque fois, nous revenons avec la certitude d’avoir apporté un peu de chaleur, d’informations et d’espoir aux personnes. Chaque fois, nous en apprenons plus sur la violence institutionnelle qui frappe les migrant.es et rendons notre action moins exceptionnelle. Et lorsque nous revenons, nous sommes mieux préparé.es pour faire face.
PARIS : LES RÉFUGIÉS FORCENT LES PORTES DU CENTRE D’HÉBERGEMENT PORTE DE LA CHAPELLE (17 JANVIER 2017)
On ne revient pas non plus de l’aéroport les mains dans les poches, en sifflotant. Lorsque nous y sommes, nous sommes conscient.es que le couperet se rapproche à toute vitesse pour la personne, seule entre les griffes de la PAF. Nous avons peu de temps et l’environnement des terminaux est inhospitalier.
Nous tentons d’engager une conversation avec les passagères et passagers souvent pressé.es, entre des personnels pas toujours bienveillants, des agents de sécurité parfois agressifs, des militaires qui patrouillent armes aux poings, des RG qui contrôlent nos identités. Nous devons nous taire face aux quelques « Non ! j’ai pas le temps ! », ou les « On peut quand même pas tous les accueillir ! » ou encore les « J’en ai marre des migrants ! » pour mieux convaincre celles et ceux qui nous écoutent, déjà informé.es ou absolument choqué.es de l’existence de ces pratiques qui évoquent des imaginaires de régimes tortionnaires qu’on croyaient d’un autre temps.
Que l’on revienne avec un haut le cœur car la personne a été expulsée ou envahi d’un sentiment d’euphorie quand une action héroïque dans l’avion a poussé le commandant de bord à la débarquer, nous revenons fort d’une certitude : notre action est utile car nous visibilisons cette guerre secrète, nous la combattons et nous défaisons des certitudes. Chaque fois, nous banalisons ces actions, qui restent encore taboues et réputées sans espoir. Chaque fois, nous faisons reculer la peur et ce sentiment qui nous hante au creux de nos lits : celui de savoir et de ne rien faire.
Brigade Anti déportation, Collectif La Chapelle Debout !
collectif.lachapelle.debout@gmail.com
RAPPORT HUMAN RIGHTS WATCH : « C’EST COMME VIVRE EN ENFER » ABUS POLICIERS À CALAIS
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• EU signs deal to deport unlimited numbers of Afghan asylum seekers, 3 octobre 2016, The Guardian.
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https://www.streetpress.com/sujet/1489519027-fahrad-violences-police-avion-refugie
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https://www.mediapart.fr/journal/france/071009/un-escorteur-de-la-paf-raconte-la-violence-ordinaire-des-expulsions-forcees?onglet=full
• La Crazette de la Cimade, n° 16, juin 2017.
http://www.lacimade.org/publication/la-crazette-n16