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Il m’a suffi d’écrire une pièce sur les dérives de l’extrême droite identitaire bretonne rattachée au site Breiz Atao pour déchaîner les passions littéraires des einsatzgruppen du Finistère. Au mois d’août, je revenais pour VICE sur l’une de leurs soirées alcoolisées non loin de chez eux, à Rennes, laquelle s’était tristement transformée en l’attaque d’un camp de migrants. Sans surprise, les fafs l’ont mal pris. Je ne m’attendais cependant pas à faire l’objet de toute leur attention l’espace d’une semaine. Et qu’ils me menacent, avec toute la subtilité qu’on est en droit d’attendre d’eux.
Le site Breiz Atao n’a visiblement pas aimé être présenté comme un média d’extrême droite participant, par ses déclarations, à la banalisation d’actes ultranationalistes en Bretagne. Les modérateurs du site se sont donc fendus, en réponse, d’un texte particulièrement salé que seuls eux-mêmes ont eu le courage de publier. Dans celui-ci, ils me traitaient notamment « d’agitateur cosmopolite emphatique avec les grappes de vagabonds », mais aussi de « juif » – ce qui en plus de constituer un argument raciste et injurieux, est faux. Mais au-delà des attaques personnelles, ils réfutaient à moitié leur histoire. Ils prétendaient notamment que leurs actions n’étaient en réalité qu’autant de « polémiques entretenues par l’extrême gauche ». J’ai donc tenu à revenir un peu sur la création et l’histoire de cette revue reconnue par la justice comme un outil de propagande d’extrême droite.
Breiz Atao, qui signifie « Bretagne toujours » en breton, a d’abord été une publication papier parue au début du XXe siècle, entre 1918 et 1939, puis une deuxième fois en 1944. Au cours de la Seconde Guerre mondiale, le terme « Breiz Atao » servait d’appellation populaire chez les Bretons afin de désigner les diverses mouvances autonomistes locales qui s’étaient compromises avec l’occupant nazi.
Influencée par Maurras et l’Action Française, la revue devenue site internet en 2010, écrivait en 1919 : « Notre heure viendra, à nous aussi ; ce sera l’heure de la Bretagne, l’heure du sain positivisme, du catholicisme et de la tradition, et ce sera aussi l’heure de la vieille et saine France. » Trois ans plus tard, en 1922, Breiz Atao saluait le fascisme mussolinien : « Devant l’inanité des efforts à tendance parlementaire et le triomphe fasciste, on est en droit de conclure en faveur de certains esprits et de certaines méthodes. » Et ce n’est que le début, l’enthousiasme débordant de nos Bretons pour les États autoritaires de droite ne faisant que commencer.
En 1926, sept ans avant l’annexion d’Hitler au pouvoir en Allemagne, Breiz Atao était déjà à la pointe dans la croisade européenne du national-socialisme : « La même préoccupation tient au cœur des nationalistes de tous les pays : arracher l’intelligence de leur peuple à la culture étrangère imposée, et reconstituer une civilisation nationale sur le vieux fonds racial et traditionnel », disait le militant nationaliste – et condamné après-guerre pour collaboration – Morvan Marchal dans l’un des numéros du journal.
Finalement disparue en 1931 suite à des querelles intestines, la revue réapparaît en 1944 à la faveur de la création du Parti National Breton par le militant nationaliste Célestin Lainé, lequel publie plusieurs numéros pro-nazis. Lainé est également le créateur d’une milice bretonne au sein même de la Waffen SS, nommée « Bezen Perrot ». L’engagement de Breiz Atao auprès de l’Allemagne nazie est tel que les résistants bretons de la même époque entonnent ce slogan : « Breiz Atao mad da lazo », ou « Breiz Atao, bons à tuer ». Il faut dire que la revue avait pris l’habitude de dénoncer dans ses lignes les familles des militants indépendantistes qui avaient rejoint les maquis de la résistance contre l’occupant nazi.
Après la libération, on n’a plus entendu parler de la revue Breiz Atao pendant un long moment – 65 ans, pour être exact. Cette parenthèse a pourtant pris fin en 2010 lorsque plusieurs nerds d’extrême droite ont eu l’idée de créer un site Internet du même nom que la revue collabo. Celui-ci s’est expressément revendiqué comme la continuité du premier journal, celui de L’État National Breton. Contrairement à la majorité des indépendantistes bretons – aujourd’hui plutôt classés à l’extrême gauche -, le courant identitaire de Breiz Atao défend l’indépendance de la Bretagne en se revendiquant ouvertement contre l’immigration, contre l’Islam, mais aussi contre Israël.
À la suite de leur remise sur pieds, une première plainte pour « incitation à la haine raciale » est déposée en 2011 par un joueur de biniou d’origine sud-américaine, suite à un article dans lequel il était nominativement visé : « On n’a jamais vu de Celtes noirs et on n’en verra jamais. » Deux mois plus tard, une autre plainte est déposée pour des propos discriminatoires à l’encontre d’une élue socialiste de Brest accusée d’être une « traîtresse à la race ».
Suite à cette affaire, Boris le Lay, fondateur de Breiz Atao, avait sobrement déclaré : « Le parti socialiste nous fait de plus en plus tomber au niveau des nègres. » Il sera condamné en septembre 2013 par le tribunal correctionnel de Brest à quatre mois de prison avec sursis pour provocation à la haine raciale. Puis il sera condamné par le tribunal de Rennes en deuxième instance à 18 mois de prison avec sursis et 20 000 euros d’amende. Le procureur avait alors requis huit mois de prison ferme à son encontre. Suite à ce déferlement de condamnations et pour éviter de futures poursuites, Boris le Lay a cédé sa place de webmaster à un citoyen américain en 2013, Peter O’Connel.
Si l’on s’en tient à sa petite saillie à mon égard, on peut penser que Le Lay n’a pas totalement cessé d’écrire des petits mots d’amours à l’adresse de l’humanité – mais sous pseudo cette fois. Hashtag bras levé et claquage de talons en cuir à tous mes admirateurs en Rangers.