[EDITO] CE N’EST PAS NOTRE MODÈLE ÉCONOMIQUE QUI EST FOIREUX, C’EST VOTRE CONSOMMATION DE L’INFORMATION QUI PUE

Une colère froide et le coup de gueule de l’année. Ne vous étonnez plus si la profession de journaliste est en crise et si les photo-journalistes gagnent moins bien leurs vies que les cuisiniers, alors qu’à la place des fourchettes, ce sont des balles et des grenades qui leur sifflent aux oreilles. Il ne faut plus s’offusquer si ceux qui sortent en Porsche des chaines TV sont les plus rances vomissures que la profession ne soit jamais parvenue à imaginer dans un roman d’anticipation. Parce que tout ça, c’est entièrement de votre faute.

Vous consommez l’information comme du papier toilette, vous en tirez quelques feuilles pour vous moucher ou vous torcher (selon les usages) mécaniquement. Puis lorsque le rouleau est vide, vous le jetez simplement aux ordures (ou vous tirez la chasse), et vous passez au rouleau suivant. Il y a les bonnes grosses diarrhées (de l’information) : c’est à dire des rouleaux de papiers qui disparaissent plus vite que d’autres. Ce fut par exemple le cas de votre « Rouleau Aylan », celui que vous avez utilisé pour retirer les larmes sèches de votre visage suite à la vision d’horreur d’un enfant mort, la face à demi-entérrée sur une plage de Turquie. Trois jours d’émotion faussement partagée entre collègues comme on parle de la météo avec sa coiffeuse.

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Photo : Reuters

Allez on va être sympa et on va comptabiliser cinq jours ouvrables de pleurnichades hypocrites. Et attention : c’est déjà un record ! On vous soupçonnerait presque d’avoir utilisé DEUX « rouleaux Aylan ».


Mes chers compatriotes, chers lecteurs.

Sans vouloir vous offenser mais tout cela relève d’un haut niveau de faux-culterie. Les mots me manquent pour exprimer ma frustration envers ceux que je considère comme les principaux responsables de la déchéance de notre profession : VOUS. Oui, vous ! Vous qui vous êtes presque marchés dessus à l’ouverture des bureaux de tabac pour posséder l’un des 7 millions d’exemplaires de Charlie Hebdo au mois de janvier, puis qui vous êtes avérés incapables de vous abonner à des médias d’informations en ligne quelques semaines plus tard et pour encore moins cher qu’un seul Charlie, provoquant leur dépôts de bilans. Avouez que la liberté de la presse ou sa simple existence comme un contre pouvoir, vous n’en avez finalement plutôt rien à foutre. Tout cela n’était qu’une posture, n’est-ce pas ? Un peu comme cette fameuse manifestation de chefs d’états dans Paris le 11 janvier : acheter un Charlie Hebdo après l’attentat, c’était pour être sur la photo ? Faux-culs !

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Photo : Reuters

Au début c’était facile d’accuser l’inertie des grands groupes de médias pour expliquer la crise de la presse : « C’est compliqué de changer de grosses machines et les habitudes séculaires, vous comprenez ? », « C’est tellement compliqué de s’adapter à Internet … », « Comment va-t-on faire sans les subventions ? Et sans la publicité ? ! », « On ne peut pas faire confiance aux jeunes start’up de l’information. », « Vous partez seuls sur le terrain là ou il nous fallait cinq emplois pour avoir le même résultat, avant. Vous volez notre travail ! », ect, ect … Sauf que cette transition de l’info vers internet dure depuis plus de 10 ans. Ce refrain commence donc à sonner comme une excuse pour cacher de la médiocrité, des incompétences et une grave absence de capacités d’adaptation. Entre ma grand-mère qui relève ses mails sur son iPad, mon père à qui il vaut mieux parfois envoyer un message sur Facebook plutôt que de lui adresser directement la parole, et mon petit frère qui savait déverrouiller un iPhone avant de faire ses premiers pas : celui qui ne comprend rien à Internet dans ce métier doit disparaitre professionnellement et laisser sa place. C’est son destin, ciao. On est toute une génération à attendre que tu laisses ta place, mec.

Chez Taranis on se bat depuis 2011 sans actionnaires extérieurs autres que nous-même, sans avoir touché de subventions, sans avoir jamais “employé” un seul stagiaire peu ou pas rémunéré, sans avoir jamais crée de « section payante » à notre site, on ne s’est jamais laissé corrompre, on a couvert des sujets que les autres médias ne traitaient pas, et/ou différemment. On a failli fermer à trois reprises, on a déjà changé une fois de marque (feu RennesTV), nos drones ont été cloués au sol, on a été attaqués et blessés sur le terrain à plusieurs reprises et y compris par la police, notre materiel a été détruit et certains d’entres nous se sont embrouillés pour la vie. Oh oui ! Des engueulades qui feraient pâlir certains militants qui ont l’habitude d’être en désaccord au sein de leurs collectifs. Et malgré toutes ces emmerdes on s’est battu sans se plaindre, sans frimer sur les plateaux ou dans les salons.

On s’est concentré pour que les contenus restent de qualité et gratuit pour le public. Le résultat c’est qu’on est peut-être aujourd’hui sérieusement à sec, mais on sait comment ça marche. On commence à bien vous connaitre.

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Photo : Blockupy Francfort ( ©TaranisNews 2015 )


Secret Story, The Voice, Patrick Sébastien …

La réalité c’est que l’information people, le sport, l’humour bas de gamme, la cuisine, la télé-réalité, ces bouffons de Patrick Sébastien ou de Benjamin Castaldi font bien plus d’audience que les émissions d’information qui vous permettraient d’entre-apercevoir le monde dans lequel vous vivez. C’est bien cela qui relève de votre entière responsabilité : vous préférez voir un mec se faire rentrer un boa constrictor dans la gorge pendant qu’il est tenu par une fille en maillot deux-pièces, le tout sur un fond de musique de merde, plutôt que de savoir qu’elle peut-être la situation des réfugiés au sud-soudan. Alors forcement que les chaines et les journaux vous inondent de la soupe froide que vous attendez d’eux : ils monnayent leurs audiences, c’est la loi du marché ! Plus vous allez regarder de la merde et plus ils vont vous en offrir en primetime.

On pourrait comprendre qu’après vos journées de travail vous n’avez pas envie de vous prendre la tête avec la souffrance des autres. Mais choisir volontairement de s’abrutir l’encéphale plutôt que de devenir plus intelligents en ayant une meilleure connaissance du système de gouvernance et du monde qui vous entoure : je ne vous comprendrai jamais. Vous vivrez surement beaucoup plus heureux que moi ou les autres abrutis névrosés de mon espèce … Probablement que vous serez un peu plus ignorants, mais vous vivrez beaucoup plus heureux, sans aucun doute. Votre choix est respectable mais vous êtes dans le déni, le renoncement et la technique de l’autruche. Vous êtes seuls dans ce monde.

La satisfaction de vos besoins quotidiens aveugle votre vision d’ensemble. Vous êtes heureux dans une bulle qui repose sur une base très instable et le jour ou le contexte géopolitique obligera vos yeux à s’ouvrir, prévoyez que la descente sera très brutale. Passer d’une lobotomie divertissante à la guerre aux frontières de l’Europe risque de provoquer un petit choc émotionnel dans des esprits mal préparés. Et franchement quand on voit le canyon qui sépare ces deux mondes, il serait peut-être temps que cela vous arrive.

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Photo : Gaspard GLANZ ( ©TaranisNews – Budapest 12/09/2015 )

Pourquoi y-a-t-il tant de haine dans cet éditorial, comment peut-on à ce point manquer de se suicider en insultant à demi-mots sa propre audience ? Parce qu’après 10 jours de tournage dans les Balkans, notre documentaire a fait moins de vues que le bruit de fond résiduel des vidéos que nous avons déjà publiées par le passé. 1000 vues en tout, vous n’êtes pas sérieux ?! On a retourné le problème dans tous les sens : est-ce le manque de voix-off ? Le montage ? La longueur du sujet ? Le nombre de journalistes présent sur le terrain qui fait que le sujet avait déjà été traité internationalement ? Est-ce parce que notre audience ne nous reconnait pas la légitimité de couvrir ce genre de dossiers ?

Les chiffres d’affichages sur les réseaux sociaux sont formels : vous l’avez vu passer. Alors qu’en comparaison certains de nos reportages tournés dans des manifestations ces dernières années dépassaient déjà les 50 000 clics en à peine vingt quatre heures … Non là, vraiment, on a pas compris votre désintérêt pour le sujet. Jusqu’à se demander à quoi ça sert de continuer pour en arriver là.


BORDERS, NATIONS, DEPORTATIONS

 

Reportage : BORDERS, NATIONS, DEPORTATIONS ( ©TaranisNews 2015 )

À cinq petites heures de route de la France en direction de l’Est et une fois que vous avez dépassé Munich, vous arrivez à la frontière entre l’Allemagne et l’Autriche, près de Salzbourg. Toutes les nuits et depuis plus de trois semaines des femmes, des enfants et des nourrissons dorment sur les trottoirs. Ils attendent en ligne et pendant plusieurs jours que la Polizei Allemande séparent les femmes et les enfants des hommes. La fraicheur des premières gelées blanches de l’automne descend de hautes vallées alpines, et c’est un sacré bouleversement climatique pour des réfugiés qui viennent des déserts du moyen-orient. Alors ils attendent. Emballés comme des saucisses dans des couvertures de survies. Ils attendent que les autorités allemandes acceptent leur entrée sur le territoire, par petits groupes.

Le tout sous le regard de l’Autriche qui n’attend qu’une seule chose : qu’ils s’en aillent au plus vite de chez eux.

Cette vision de l’Europe est un cauchemar d’images qu’on imaginait appartenir au passé : frontières fermées par des barbelés tranchants et défendues par des armées, réfugiés terrifiés et assis en ligne face à des gardes debout, excités et armés … Existe-t-il encore une seule personne pour avoir le courage d’affirmer que ces images sont indignes de notre histoire et de celle de la construction de l’Europe ?

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Photo : Louis WITTER ( ©Hans Lucas 2015 ) – Szeged, Hongrie le 14/09/2015

Aligner des blindés montés de mitrailleuses de 12,7mm contre des familles qui fuient la guerre … La Hongrie, pays membre de l’UE, est-elle devenue complètement folle ? Et nous allons laisser faire cela, nous, « la France » ? Les héritiers de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme ? Il ne fallait pas nous raconter toutes ces balivernes à l’école si cela n’avait aucune valeur historique pour nos dirigeants actuels.

Il est certain que si vous ne daignez même pas regarder ce qui se passe là bas, les choses ne risquent pas de changer. Ou peut-être est-ce encore plus grave, peut-être faites vous partis de ces Français qui se persuadent qu’ils ne sont pas concernés par l’exode des réfugiés en Europe ? Il est certain que nous n’avons pas rencontré beaucoup de réfugiés qui souhaitaient faire leurs demande d’asile en France (en comparaison des pans entiers se dirigeant vers l’Allemagne ou la Suède). Mais croire que l’exode des réfugiés s’arrête à nos frontières est probablement la plus grosse connerie qui soit entrée dans l’inconscient collectif depuis la catastrophe de Tchernobyl …

Il suffit d’observer l’augmentation de la concentration des réfugiés et des migrants à Calais ces derniers jours, les récents affrontements qui s’y déroulent avec les forces anti-émeutes, la situation à Paris, ou cette histoire de camion rempli de migrants découvert au fond de la Bretagne, pour comprendre que vous vous fourvoyez.

Les réfugiés passent autant nos frontières que celles des autres pays Européens. Notre pays refuse simplement de le voir. Ce qui lui permet de s’affranchir de l’obligation de mettre en oeuvre de vrais moyens pour les aider. C’est la technique du « mettre la poussière sous le tapis ». Pas de réfugiés ? Pas de camps de réfugiés, pas d’hébergements d’urgence supplémentaire.

Une belle opération de communication politique ou un aveuglement collectif ? C’est à vous de décider … Encore faudrait-il que vous sachiez de quoi nous parlons.

Gaspard GLANZ